L’Odyssée de Pegah Mofidi
Pegah Mofidi est depuis deux ans l’une des têtes pensantes de Yahoo en France mais cela fait déjà de nombreuses années qu’elle officie dans le marketing digital. Nous avons été amenés à nous croiser régulièrement et j’ai voulu comprendre comment cette femme au naturel si discret avait pu devenir l’une des actrices les plus reconnues de ce marché qui ne semble pourtant jurer que par l’apparence et les bons mots. Voilà ce que j’ai compris et retenu.
La Grande Traversée
En 1981, paraissait L’Odyssée d’Astérix, le 26ème album de la collection. Les plus tatillons d’entre vous m’indiqueront qu’il s’agit malheureusement du second opus en solo d’Uderzo depuis la mort de Maître Goscinny en 1977, donc du début de la fin qui n’en finit plus de finir, ce à quoi je leur répondrais que tel n’est pas mon sujet puisqu’en l’occurrence, c’est la destination qui m’a intéressé. En effet, dans cet album, Astérix et ses collègues doivent se rendre en Mésopotamie pour récupérer un ingrédient vital pour la potion magique, l’huile de roche ou plus simplement du pétrole. Au même moment, Pegah Mofidi, alors âgée de trois mois, quittait la Perse devenue depuis le 30 mars 1979 la République Islamique d’Iran, et effectuait donc quasiment le chemin inverse de notre Gaulois préféré. Le petit homme à moustache allait devenir les années suivantes son meilleur compagnon.
Astérix le Gaulois
Quand on repart de zéro, il semble plus facile d’essayer de tourner quelques pages anciennes pour se concentrer sur les chapitres suivants. Jeune, Pegah était perçue par ses camarades d’école comme venant d’ailleurs. A la maison, la culture était française car il fallait s’assimiler pour réussir. Les ancêtres étaient donc gaulois même si Pegah comprend le farsi de la rue, bien distinct de celui littéraire, plus complexe. Elle me précise que c’est le même principe pour le japonais. Parfaitement polyglotte mais avec néanmoins quelques faiblesses dans ces deux langues, je me contentai d’un “aligato” comme simple réponse. C’est donc à force de travail qu’elle bénéficiera, comme elle me l’explique, de la méritocratie française, qui alors semblait fonctionner m’empressais-je de compléter. Diplômée d’une Grande École, l’EM Lyon, elle peut alors démarrer sa carrière, même si, probablement à cause de son nom, elle eut nettement plus de mal à trouver son premier emploi que ses acolytes de promotion. “C’est peut-être la seule fois de ma vie que j’ai souffert de discrimination”. Ce à quoi je lui répondis qu’une discrimination bien faite est celle que le candidat ne remarque pas. En attendant, Pegah enchaîne les jobs dans des sociétés plus prestigieuses les unes que les autres, d’Axel Springer à Yahoo en passant par Prisma, Next Régie ou AOL.
Potion magique
Son carburant, c’est la connaissance. Elle convient qu’être un peu besogneuse n’est pas la qualité la plus sexy qui puisse exister, mais elle s’en contre-fiche. Elle apprend, comprend, digère, applique puis transmet. On a alors du mal à croire que Pegah soit une “commerciale” comme on dit dans le jargon. Elle me corrige en précisant “Je ne suis pas marchande de tapis mais Business Partner. Notre gamme est multi-produits, il faut donc comprendre le besoin avant de vouloir négocier quoi que ce soit”. Jamais avare de provocation, je lui rétorque qu’elle joue un peu sur les mots car quand on parle de vendre une publicité, le concept de matière grise est tout de même assez flou, mais tout en souriant, elle contre-attaque. “J’aime cette idée de participer à l’indépendance et à l’équilibre économique des médias ”. De nos jours, les envahisseurs romains sont les GAFA et autres TikTok et Pegah aime à penser que son travail fait partie d’un des milliers d’ingrédients qui constituent la fameuse potion miracle.
Le combat des chefs
Mais quand on refuse d’aller faire le tour des popotes, de publier sur Linkedin des posts bien évidemment inspirants, comment est-il encore possible dans cette industrie de se faire connaître et ainsi de progresser professionnellement ? Pegah me confesse alors que c’est probablement un défaut féminin même si les généralités ne sont jamais satisfaisantes. La discrétion n’empêche pas l’efficacité mais l’absence d’une ambition claironnée peut par contre être bloquante. Je suis quasiment certain que lorsque Pegah change de fonction, ses anciens managers sont constamment surpris. Sous prétexte qu’elle ne réclamait pas de nouvelles responsabilités, ils la pensaient parfaitement satisfaite alors qu’elle espérait que l’on reconnaisse naturellement sa progression en lui proposant un nouveau challenge plus en adéquation. Un jour Pegah sera certainement Directrice Générale d’une belle structure de notre secteur, dans lequel elle se voit bien exercer encore de nombreuses années. Mais ce poste, il faudra qu’elle aille le chercher, parce que si l’humilité rapportait, cela se saurait.
Persepolis
Samedi 1er octobre, Pegah s’est rendue Place de la République à Paris. Elle fut agréablement surprise d’entendre autant d’échanges en farsi, de la rue j’imagine puisque nous sommes à l’extérieur ai-je complété de manière particulièrement opportune. Ce que nous avons réussi à mettre en avant dans nos médias, c’est que Sandrine Rousseau s’y est fait huer. Ce que Pegah a retenu, c’est que malgré les trombes d’eau, des milliers de personnes s’abritaient sous des drapeaux iraniens pour célébrer et soutenir le courage de ces femmes qui osent défier le Moyen-Âge. Pegah est on ne peut plus française mais iranienne de cœur et elle attend, donc avec impatience, ce jour où elle pourra célébrer, bien évidemment autour d’un banquet avec tout un tas de sangliers, de grandes retrouvailles. Elle aura alors été discrète mais actrice, comme à son habitude.