Philipp Schmidt, Prisma Media Solution : “Les éditeurs ont encore de la marge pour innover”

C’est à l’occasion des 22ème Ratecard Meeting du Touquet que Philipp Schmidt, Directeur Général de Prisma Media Solutions, nous a présenté les enjeux auxquels font face les éditeurs et l’Open Web en général face à l’Intelligence Artificielle.

A lire sans modération.

Ratecard : Philipp Schmidt, on assiste à une accélération spectaculaire des investissements autour de l’intelligence artificielle. Quels en sont, selon vous, les impacts immédiats pour les éditeurs ?

Philipp Schmidt : Le mouvement est d’une ampleur inédite. Pour donner un ordre d’idée, les États-Unis ont annoncé un plan de 500 milliards de dollars pour soutenir le développement de l’IA. À titre de comparaison, selon certaines estimations, il suffirait de 130 milliards pour résoudre définitivement le problème de l’accès à l’eau potable dans le monde. Ce déséquilibre donne la mesure de l’engagement, mais aussi de l’incertitude : personne ne sait vraiment où cela mène. Ce que l’IA mobilise en capital aujourd’hui dépasse de très loin les cycles d’innovation précédents. Ce qui demandait autrefois dix cycles d’investissement devient inatteignable pour qui n’est pas déjà dans la course. Et tout indique que cela ne fera que s’intensifier.

Ratecard : Dans ce contexte, quelle lecture faites-vous des perspectives à venir pour les éditeurs comme Prisma Media ?

Philipp Schmidt : J’articule cette réponse en trois temps, selon une logique temporelle. D’abord, à court terme – deux à trois ans – l’open web dispose encore de fondations solides. L’écosystème publicitaire reste actif, les lecteurs sont présents, les annonceurs identifient la valeur des marques médias, les enjeux de brand safety sont compris. Il existe encore beaucoup d’opportunités autour de la SPO, de la valorisation de la donnée first party. Les éditeurs ont encore de la marge pour innover.

Ratecard : Et au-delà de ce premier horizon ?

Philipp Schmidt : À moyen terme – entre trois et cinq ans – les choses vont sérieusement se tendre. Je prévois une période de concentration brutale : les acteurs incapables de démontrer une vraie proposition de valeur seront absorbés. Ce sera une phase marquée par des fusions, des disparitions, des reconfigurations profondes. En revanche, à plus long terme, je suis plus optimiste. Je crois que le renouvellement générationnel apportera une gouvernance plus adaptée à ces enjeux. Actuellement, le monde est encore dirigé par une poignée de septuagénaires. Ce déséquilibre finira par se réguler.

Ratecard : Comment les éditeurs peuvent-ils traverser ces cycles ?

Philipp Schmidt : Trois leviers me paraissent essentiels. Premièrement, la brand safety. Elle reste un critère décisif pour de nombreuses marques. Dans un contexte où les discours complotistes ou délirants se diffusent sans filtre, maintenir des environnements publicitaires fiables est une exigence absolue.

Deuxièmement, la responsabilité environnementale. À l’heure où une requête sur ChatGPT peut mobiliser l’équivalent de plusieurs verres d’eau en énergie, il est urgent d’interroger l’utilité de certaines requêtes futiles. Les éditeurs responsables doivent s’engager dans une approche plus sobre.

Troisièmement, la performance. Les éditeurs ont la capacité de générer de l’attention qualifiée, de l’engagement réel, de la conversion efficace. Ils peuvent ainsi redevenir des « safe gardens », des environnements protégés, là où l’open web s’avère parfois fragmenté et risqué.

Ratecard : Ce sujet de la chaîne de valeur revient souvent dans vos prises de parole…

Philipp Schmidt : Oui, et il est central. Un annonceur qui investit 100 euros et constate que seulement 40 euros atteignent réellement le média s’interrogera vite : pourquoi ne pas aller directement chez Google ou Meta ? Cette opacité fragilise l’open web. D’où notre premier axe stratégique : la SPO. Il faut simplifier l’accès aux inventaires, éliminer les intermédiaires superflus, favoriser la transparence.

Ratecard : Vous avez mentionné d’autres priorités chez Prisma Media Solutions ?

Philipp Schmidt : Notre deuxième chantier est le retail media. Les retailers ont massivement investi, souvent sans atteindre leurs objectifs. Leur inventaire on-site est limité, et l’arbitrage entre logique média et logique commerciale est parfois conflictuel. Nous pensons que les éditeurs ont une carte à jouer en structurant des offres off-site robustes, activables via des partenaires technologiques adaptés.

Enfin, notre troisième priorité concerne la valeur média – qu’il s’agisse de contenus, d’expérience utilisateur ou de performance publicitaire. Nous avons refondu entièrement notre plateforme digitale autour d’un socle technologique unique, plus rapide, plus fluide, plus élégant. Certains de nos titres comme Capital en bénéficient déjà. L’enjeu est d’offrir une expérience premium cohérente, tant pour le lecteur que pour l’annonceur.

Ratecard : Et face à l’essor de l’IA générative, quelle doit être la posture des éditeurs ?

Philipp Schmidt : L’enjeu est existentiel. L’IA va bientôt synthétiser toutes les réponses directement depuis les contenus des éditeurs, sans que l’utilisateur n’ait besoin de cliquer. Si le web ouvert disparaît, les IA vont finir par se nourrir uniquement d’elles-mêmes, avec un appauvrissement général. Les grands modèles linguistiques (LLM) ont besoin d’un écosystème riche, structuré, documenté. Il faudra donc mettre en place des accords, encadrés par le législateur ou issus d’initiatives volontaires, pour permettre aux LLM de s’appuyer sur des contenus à forte valeur ajoutée. Exactement comme on l’a fait dans l’industrie musicale avec la gestion des droits. C’est une condition pour que l’IA reste pertinente et utile.

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