Lors d’un entretien accordé au podcast Stratechery, Mark Zuckerberg a esquissé une vision radicale de l’avenir du marché publicitaire. Selon le fondateur de Meta, les annonceurs pourraient bientôt se contenter de transmettre un objectif business à une IA qui se chargerait du reste : création, ciblage, diffusion, optimisation. Une déclaration qui suscite autant d’interrogations que de résistances dans l’écosystème publicitaire.
Les faits : un modèle publicitaire piloté exclusivement par l’IA
Mark Zuckerberg n’y est pas allé par quatre chemins. Selon lui, la publicité de demain pourra se résumer à une simple instruction : « Voici ce que je veux obtenir, voici ce que je suis prêt à payer, et je me connecte à mon compte bancaire. » Le reste — création visuelle, rédaction, ciblage, diffusion, mesure — serait pris en charge par l’IA générative de Meta, à l’image de son modèle LLaMa lancé début 2023.
Dans ce scénario, l’annonceur délègue l’ensemble du processus publicitaire à la plateforme, à l’exception de la direction créative initiale. Meta s’appuierait sur sa capacité à produire automatiquement des publicités dynamiques, à les tester, les ajuster, et à convertir les utilisateurs directement dans ses environnements propriétaires (Facebook, Instagram, WhatsApp…).
Les conséquences : vers une désintermédiation brutale
Ce modèle soulève une question centrale : quel rôle restera-t-il aux agences médias ? Selon Zuckerberg, la performance IA surpassera celle des acheteurs humains en matière de ciblage et d’efficacité. Une proposition qui réduit à néant la fonction d’intermédiaire stratégique.
Derrière cette ambition, une logique claire : supprimer les frictions dans la chaîne publicitaire pour capturer une part encore plus importante des budgets. Mais cette automatisation totale pose plusieurs problèmes :
- Disparition du tiers de confiance : si Meta gère et évalue ses propres performances, qui garantit l’objectivité des résultats ?
- Perte de transparence : aucune information concrète n’a été donnée sur la méthodologie, les outils, ou les garde-fous intégrés.
- Érosion du rôle des marques : dans cette approche, les annonceurs perdent la main sur le storytelling, le média planning et la relation audience.
Le modèle pourrait séduire certaines PME ou e-commerçants, mais pour les grandes marques, les enjeux de contrôle, d’image et de mesure sont loin d’être anecdotiques.
Les réactions : entre scepticisme, agacement et rappel à la réalité
Les propos de Zuckerberg n’ont pas laissé l’écosystème indifférent. Plusieurs dirigeants d’agences ont réagi publiquement.
Bertrand Beaudichon (IPG Mediabrands France) y voit une forme de provocation utile :
« Mark vient de justifier l’importance stratégique de notre métier. Oui, l’IA bouleverse les pratiques, mais plus on l’utilise, plus il est clair que ça n’ira pas dans le sens de Meta quand il s’agit de faire du branding. »
Même tonalité du côté de Sébastien Danet (INfluencia, SBC) :
« Cela fait plusieurs décennies que l’on annonce la désintermédiation des agences média, mais elles sont aujourd’hui plus fortes que jamais. »
D’autres experts interrogés par The Verge ont souligné le manque de fiabilité des créations IA, le risque d’uniformisation des messages et la perte de lien entre marques et audiences. Certains évoquent une vision condescendante de Meta à l’égard de ses clients.
Ce qu’il faut retenir
En l’état, aucune date ni produit n’ont été officialisés. Mais le discours de Meta confirme une tendance lourde : la volonté des plateformes d’internaliser toute la chaîne de valeur publicitaire, de la donnée à la conversion. Pour les agences, c’est à la fois une menace et une opportunité : celle de réaffirmer leur rôle stratégique, humain et créatif, face à une approche purement algorithmique.